Dans le Sud-Essonne, ça ronronne, ça ronronne… L’entre-soi des sphères de pouvoir a atteint un niveau sans égal : ces territoires potentiellement si dynamiques sont empêtrés depuis des décennies dans une gouvernance sclérosée. La faute au jeu des chaises musicales auquel se livrent des élus et responsables locaux : sois mon adjoint, je serai ton vice-président ! Dans la joie et la bonne humeur, on cumule les postes et les rémunérations.
Des cumuls de fonctions incroyables !
Posons ensemble les bases de notre environnement politique local. Commençons par Mennecy, la plus grande ville de la Communauté de communes du Val d’Essonne (CCVE) puisqu’elle y dispose de 11 sièges (10 pour la majorité, 1 pour l’opposition) sur 55.
Jusqu’en septembre 2020, le président du SIREDOM était M. Xavier DUGOIN, ancien maire de Mennecy, ex-président du conseil général de l’Essonne, ex-député, ex-sénateur, qu’on ne présente plus. M. DUGOIN était en même temps – et est toujours – président du SIARCE. Il est également conseiller municipal de Mennecy (dont il a été maire pour la première fois en 1989 !) et conseiller communautaire à la CCVE (et membre de la commission de la CCVE sur les déchets ménagers).
Le fils de M. DUGOIN, Jean-Philippe DUGOIN-CLÉMENT, est quant à lui maire de Mennecy (ayant succédé à son propre père en 2011) et vice-président de la région Île-de-France où il dispose selon la fiche publiée par la région en 2017 de pas moins de 25 (!) représentations et est membre de deux commissions régionales. Il est également conseiller communautaire et 2e vice-président de la CCVE. Il est par ailleurs premier vice-président de l’Association des maires d’Île-de-France (AMIF) et président de l’UDI de l’Essonne.
Maintenant qu’on a les bases, lançons le jeu de chaises musicales ! Passons à Ballancourt, deuxième ville de la CCVE, qui dispose de 6 sièges au conseil communautaire (5 pour la majorité, 1 pour l’opposition).
Le maire de Ballancourt, M. Jacques MIONE, est 8e vice-président de la CCVE et M. Patrick IMBERT, son 2e adjoint, est le président de la CCVE. M. IMBERT est donc adjoint de M. MIONE tandis que M. MIONE est vice-président de M. IMBERT.
En plus d’être président de la CCVE et 2e adjoint de la commune de Ballancourt, M. IMBERT est également 7e vice-président du conseil départemental, membre de trois commissions, titulaire ou suppléant de 28 (!) représentations, notamment auprès d’Essonne Aménagement dont il est aussi le PDG.
On l’a vu M. DUGOIN-CLÉMENT, maire de Mennecy, est également vice-président de M. IMBERT à la CCVE. Ces deux majorités municipales sont donc alliées et, sur les 55 sièges de la CCVE, les majorités de Mennecy et Ballancourt ont donc déjà 15 sièges.
C’est bien, mais on peut encore mieux faire ! Puisqu’il y a 21 communes à la CCVE, pourquoi ne pas s’assurer d’avoir la majorité à tous les coups ? C’est facile, nommons des vice-présidents ! 12 sur 21, ça sonne bien, c’est un bon chiffre et puis ça donne un peu de marge ! Eh bien, c’est exactement ce qu’il s’est passé le 15 juillet 2020 : M. IMBERT a fait adopter une délibération fixant à 12 le nombre de vice-présidents (contre 9 auparavant). Les listes municipales auxquelles appartiennent ces vice-présidents totalisent 32 sièges à la CCVE sur 55 sièges en tout. Mennecy et Ballancourt sont donc certaines d’avoir la majorité à tous les votes, ces communes peuvent décider ce qu’elles veulent, elles ne pourront mécaniquement jamais être mises en minorité. Et, finalement, c’est ce qui se passe puisque la plupart des infrastructures de la communauté de communes leur bénéficient.
Intéressons-nous à présent à quelques-uns de ces vice-présidents de la CCVE.
Marie-Claire CHAMBARET est la 1re vice-présidente. Elle est maire de Cerny depuis 2001, c’est donc son 4e mandat. Elle est également conseillère départementale, 12e vice-présidente du conseil départemental, membre de deux commissions départementales, et titulaire ou suppléante de 19 (!) représentations au conseil départemental. À la CCVE, elle est membre de la commission d’appel d’offres, de la commission action sociale, elle est déléguée titulaire de la CCVE au SIARCE, déléguée titulaire au Syndicat Transport Sud Essonne, représentante de la CCVE à la Mission Locale des 3 Vallées, et enfin représentante titulaire de la CCVE dans 4 associations.
Jean-Philippe DUGOIN-CLEMENT, 2e vice-président a déjà, on l’a vu précédemment, un grand nombre d’attributions. En plus de tout cela, il est membre de deux commissions de la CCVE (« Délégation de Service Public » et « Développement économique et commerces »), mais également représentant au comité de commercialisation de la ZAC Montvrain II, représentant au sein d’Essonne Développement, et enfin représentant suppléant au Syndicat mixte du secteur de Brétigny-sur-Orge, Plessis-Pâté, Leudeville et Vert-le-Grand (SIVU).
Jean-Claude QUINTARD, 3e vice-président de la CCVE, vient de Vert-le-Grand, ville dont il a été maire de 1989 à 2020 (5 mandats, soit 31 ans !). Pour le mandat 2020-2026, il n’est plus maire, mais toujours élu de sa commune (la 6e fois, ce qui fera 37 ans en 2026 !), délégué titulaire au SIREDOM, au SIARCE et donc également conseiller communautaire. À la CCVE, il est membre des commissions « finances », « actions et équipements sportifs », « action sanitaire ». Il est également représentant de la CCVE au Syndicat mixte du secteur de Brétigny-sur-Orge, Plessis-Pâté, Leudeville et Vert-le-Grand (SIVU) mais également au Comité National d’Action Sociale (CNAS). Enfin, il est suppléant au comité de commercialisation de la ZAC Montvrain II.
Jacques GOMBAULT, 4e vice-président de la CCVE, est maire d’Ormoy depuis 2001, il en est donc, comme Mme CHAMBARET, à son 4e mandat. À la CCVE, il est membre des commissions « appel d’offres », « délégation de service public », « aménagement du territoire », « usages numériques », mais également de la commission consultative des services publics locaux, ainsi que de la commission intercommunale pour l’accessibilité. Il est enfin délégué de la CCVE au SIARCE, représentant titulaire au Syndicat mixte du secteur de Brétigny-sur-Orge, Plessis-Pâté, Leudeville et Vert-le-Grand (SIVU) et siège au comité de commercialisation de la ZAC Montvrain II mais également à la Société publique locale des Territoires de l’Essonne. Il est en outre représentant de la CCVE auprès de la Fédération nationale des SCoT.
Jacques BERNARD, 6e vice-président de la CCVE, est maire de Baulne depuis 2001, c’est donc, comme Mme CHAMBARET et M. GOMBAULT, son 4e mandat. À la CCVE, il est membre de la commission « Transport et mobilités », de la commission consultative des services publics locaux, de la commission intercommunale des impôts directs, et enfin de la commission intercommunale pour l’accessibilité. Il est également représentant de la CCVE au SIARCE, au SIREDOM et au Syndicat Transport Sud Essonne (TSE).
Laurence BUDELOT, 7e vice-présidente de la CCVE, est maire de Vert-le-Petit depuis 2010. À la CCVE, elle est membre des commissions « aménagement du territoire », « insertion et emploi » mais aussi de la commission consultative des services publics locaux ainsi que de la commission intercommunale des impôts directs. Elle est représentante de la CCVE au SIREDOM et est représentante suppléante au syndicat « Essonne Numérique ». Elle siège en outre au bureau de la Mission Locale des 3 Vallées.
Tous ces élus sont décidément très performants avec toutes ces attributions combinées ! Mais, comme ils ont encore tellement de temps libre en raison de leur productivité hors du commun, certains ont aussi des fonctions au SIARCE auquel la CCVE confie la gestion de l’eau potable et de l’assainissement !
M. Xavier DUGOIN, dont il était question précédemment, cumulait jusqu’en septembre 2020 la présidence du SIREDOM et du SIARCE. S’il n’a pas réussi à se faire reconduire à la présidence du SIREDOM, il l’a en revanche été au SIARCE. Et qui sont ses vice-présidents ? Eh bien, on prend les mêmes et on recommence !
Jacques GOMBAULT, déjà 4e vice-président de la CCVE, est 2e vice-président du SIARCE ! Laurence BUDELOT, déjà 7e vice-présidente de la CCVE, est 3e vice-présidente du SIARCE ! Mariannick MORVAN, maire de la Ferté-Alais et 10e vice-présidente de la CCVE, est 6e vice-présidente du SIARCE ! Jacques BERNARD, déjà 6e vice-président de la CCVE, obtient une mission « d’inventaire des riverains et usagers des cours d’eau non domaniaux ».
En outre, MM. GOMBAULT et BERNARD siègent à la Commission Consultative des Services Publics Locaux du SIARCE. Mme BUDELOT et M. BERNARD sont également membres titulaires du « conseil d’exploitation de la régie de l’eau potable du sud Essonne ». MM. GOMBAULT et BERNARD ainsi que Mme MORVAN sont quant à eux membres du « conseil d’exploitation de la régie de dépollution des eaux usées du Malesherbois ».
On ne détaillera pas les commissions du SIARCE mais c’est à l’image de tout ce qui vient d’être mentionné !
Reste l’incontournable SIREDOM, qui a récemment fait les gros titres de la presse, le Parisien titrant récemment « Xavier Dugoin laisse un trou de 50 millions d’euros à son successeur ».
Sous la présidence de Xavier DUGOIN, Jean-Claude QUINTARD, 3e vice-président de la CCVE, était 4e vice-président du SIREDOM.
Et, après la réélection manquée de Xavier DUGOIN à la présidence du SIREDOM en septembre 2020, son directeur financier a obtenu une solution de reclassement au SIARCE présidé bien sûr par Xavier DUGOIN !
Qui dit cumul de fonctions dit cumul de rémunérations !
On le voit, le « mille-feuille administratif » permet à certains responsables publics de s’en donner à cœur joie sur le cumul de fonctions. Mais qui dit cumul de fonctions, dit aussi cumul de rémunérations ! Alors que les oppositions municipales ne sont pas favorisées par le mode de scrutin et ne perçoivent en principe aucune rémunération, les maires des majorités municipales qui approuvent la politique menée par le trio IMBERT/DUGOIN fils/DUGOIN père ont l’opportunité de cumuler les postes rémunérés !
Petit rappel sur les indemnités des maires : pour les communes de moins de 500 habitants, le plafond est fixé à 991,80 € mensuels. De 500 à 999 habitants, 1567,43 €. De 1000 à 3499 habitants, 2006,93 €. De 3500 à 9999 habitants, 2139,17 €. Et enfin, de 10000 à 19999 habitants, 2528,11 €.
À ceci s’ajoute la rémunération perçue à la CCVE : 2764,59 € pour le président et 1106,57 € pour les vice-présidents.
À cela peut s’ajouter des jetons de présence, comme par exemple 130 € pour le représentant de la CCVE à chaque réunion du conseil d’administration et du bureau de la SEMARDEL.
Et puis, il y a le SIARCE : en 2018, il a été décidé de fixer les indemnités au taux maximal légal, soit 1455,02 € pour le président et 727,32 € pour chaque vice-président.
Il y a aussi d’autres cumuls possibles pour certaines des personnes citées dans cet article, comme par exemple les indemnités de conseiller départemental ou de vice-président de région, ou encore des jetons de présence. Et certains élus (les plus performants, sans doute) trouvent également le temps de cumuler tout cela avec une activité professionnelle à temps partiel ! Un nouvel âge d’or pour le stakhanovisme en Essonne ?
Moins de cumul et plus de démocratie !
« Dans le Sud-Essonne, ça ronronne, ça ronronne », écrivions-nous au début de cet article… On comprend mieux pourquoi ! Tout ceci est d’autant plus détestable que les citoyens sont souvent loin d’imaginer les interactions entre les divers acteurs et les différents postes : il est difficile de se faire une représentation globale (ce que nous sommes d’ailleurs loin de faire ici).
L’éternelle réélection de maires qui ont, indépendamment de leur couleur politique, pris le parti de l’entre-soi a un effet délétère sur notre politique locale. Des élus qui accumulent les mandats successifs et qui sur-cumulent les fonctions ne peuvent s’investir pleinement dans chacune de leurs missions. C’est matériellement impossible.
Après des décennies d’immobilisme et d’impéritie, les citoyennes et les citoyens de la vallée méritent des responsables publics à la hauteur de leurs aspirations à un développement raisonné de leurs communes, respectueux de leur qualité de vie et de l’environnement.